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Où l’auteur est amené à résipiscence, alors que tout ça c’est la faute au Jean-Marie

Comment il est parfois dangereux de vouloir aider son prochain, même perdu dans le plus profond embarras !

Jean-Marie, notre secrétaire, est un homme dont on ne finit pas d’énumérer les qualités : patient, attentif, impliqué, il fait un sans faute. Qu’un équipier crève et Jean-Marie se précipite pour réparer, que l’un de nous se sente mal et Jean-Marie est pendu au téléphone pour avoir des nouvelles, qu’un autre traîne en route et Jean-Marie fera demi tour pour aller à sa rencontre… Capitaine de route, Jean-Marie travaille de mémoire, sans aucune carte, sans doute inspiré par des puissances supérieures… Il est parfait et dès qu’il n’est plus là, il nous manque gravement !

Mais dans notre affaire, je dois dire que tout est de sa faute ! Plutôt que d’être capitaine de route dans une sortie du mercredi sensée nous amener loin dans le Nord du département, il a préféré rejoindre un groupe d’écervelés partis faire des flèches en sillonnant la Bretagne sous la férule amicale de Marceline.

Or la Flèche qu’il faut comprendre comme un parcours défini au départ d’un point, sanctionné par un tampon fédératif sur un morceau de carton, est, j’ose le dire, la négation du cyclotourisme ! Le cyclo roule pour son bonheur et jamais pour un bout de papier qui ne rendra ni les émotions, ni les parfums, ni les efforts terribles et le bonheur inouï de l’étape… D’ailleurs, dans quel carquois les fléchards rentrés chez eux rangeront-ils leurs flèches ? Au fond d’un tiroir, preuve définitive de l’inanité de ce papier !

Fléchard prostatique ressemblant à Jean-Marie.

Donc, revenons à lui, partant courir ces flèches bretonnes, Jean-Marie a pris soin de confier le capitanat de notre sortie du mercredi à André. André est un cyclo à l’ancienne : avec son vélo Jacques Anquetil et sa carte au 25 millièmes, il sillonne les routes depuis une petite cinquantaine d’années et en remontrerait à bien des cadres carbones et freins à disques. André a fait le Ventoux, sans tambours ni trompettes ! S’il est quelqu’un à qui on peut se fier, Jean-Marie a raison, c’est bien André !

Oui, mais, toute règle subissant des exceptions, ce matin là, à une vingtaine de kilomètres de Nantes, André était perdu, perdu de chez perdu… À ne plus savoir où il habitait… Fay de Bretagne avait disparu, rayé des cartes. Ni la mousse au nord des arbres, ni la position du soleil intermittent ne donnaient aucune indication. Ce n’est pas grave, direz-vous, car les autres l’ont éclairé… Erreur ! Car sur la douzaine de cyclos du groupe, onze se laissaient paisiblement tirer, manifestant que le cyclo n’est pas difficile et accepte d’aller où le mène le capitaine, sous deux réserves : ne jamais rater le café de mi étape et ne jamais déjeuner après midi et quart. Donc André était seul face à sa carte, mais, ne sachant où il était arrivé, il ne pouvait conclure où aller et faisait sienne la maxime de Sénèque, philosophe latin conseiller de l’empereur Néron : « Il n’y a pas de vent favorable à celui qui ne sait où il va. » Calme plat côté vent et bouillonnement côté carafon d’André.

Perdu dans l’espace, André tente de rassembler ses souvenirs du parcours… 

Peut-un lecteur pourra-t-il nous dire où nous étions… ?

C’est alors que j’eus la fort malencontreuse idée que j’avais sur mon téléphone une application sensée me donner ma position et sélectionner des itinéraires. Elle ne se fit pas prier et m’indiqua aussitôt que Fay de Bretagne était incontestablement à gauche au prochain croisement, ce que je répercutai modestement au capitaine, intérieurement assez fier d’avoir sauvé le groupe d’une errance hasardeuse dans la campagne. La réponse ne sembla pas enthousiasmer André qui continuait à fixer sa carte d’un air dubitatif, comme si un doigt allait sortir du papier et lui dire « C’est par là ! ». Pourtant il n’y avait aucun doute pour moi : le point nous situant était clair et Fay était à gauche.

Ce n’est pas parce qu’il n’y a que deux possibilités que la solution est simple.

André se résolut et nous partîmes 500, mais par un prompt renfort… Pardon, ça c’est pas André, c’est le Cid… Bien qu’André faisant face aux douze paires d’yeux, n’était pas plus embarrassé que le Cid face aux cimeterres des Maures qui, finalement, firent son triomphe, tant le sort est prompt à se retourner… Trois kilomètres sur une route à forte circulation est un calvaire pour tout cyclo, heureusement la route était en faux plat descendant. Au carrefour suivant, une flèche magnifique nous indiqua Fay de Bretagne… En sens contraire : il aurait fallu tourner à droite et non à gauche !

Non seulement nous étions partis du mauvais côté, mais nous avions gravement mis en cause l’heure de la pause café… Je vis alors, pour ma plus grande confusion, les mêmes douze paires d’yeux se retourner vers moi d’un air farouche, tandis que je bredouillai quelques excuses qui sentaient fort le mulet vaseux de l’estuaire…

Que s’était-il passé ? Je l’ignore encore. J’ai hasardé que l’appli était centrée au nord alors que je la croyais orientée dans le sens de la marche car il faut bien dire quelque chose, mais je suis encore dans le brouillard sur cette question et je penche plutôt pour un parasitage de mon téléphone par les forces obscures d’une puissance étrangère, je ne peux pas en dire davantage pour ma sécurité.

Bienvenue à NDDL, Notre Dame des Landes !

« À quelque chose, malheur est bon. », nous étions à NDDL, la commune aujourd’hui la plus populaire de France et à trente mètres, nous connaissions un café ! Loin de m’en remercier comme cela eut été normal, le groupe commença à me conspuer tout en partant boire, mettant en cause ma capacité à lire un GPS et, élargissant le sujet, mes capacités en général. Je me sentais tel Saint Sébastien percé de flèches…

Pourtant le bistrot de NDDL mérite la visite car visiblement, le patron regrette profondément l’abandon de l’aéroport ! L’établissement est des plus classiques, vieillot à souhait comme beaucoup d’autres dans notre France rurale, mais, signe du progrès, le patron vous sert dans des gobelets en carton et les tarifs sont ceux de l’aéroport de Londres. On se croirait à Our Lady of the Moors, quoique le patron évoque davantage Alec Guinness que Hugh Grant.

Le déjeuner me rappela les séances d’autocritique des animateurs déchus du régime soviétique et je dus convenir que je m’étais lourdement trompé. Un minimum de gentillesse aurait dû pousser mes camarades à un silence empathique, mais le cyclo aime rire aux dépens de ses frères, je fus donc la victime du jour.

Alors que tout ça, c’est la faute au Jean-Marie !